Bataille en Noir et Blanc
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Devant lui se dessinait l’horizon. Le champ de bataille où nombre de soldats combattaient il y a encore quelques heures semblait bien vide à cet instant. Depuis son poste, il contemplait l’étendue hypnotique, paradoxalement aussi sombre que lumineuse qui se dévoilait à mesure que les corps tombaient, tant ceux de ses alliés que ceux de ses adversaires, bien qu’il lui semblât que les siens fussent plus nombreux. Il observait avec attention les mouvements de chaque homme, commandés par les chefs d’armée dont les vociférations rompaient régulièrement l’étrange silence, quasi religieux, dans lequel se déroulaient les combats. Il ne restait plus que quelques soldats rivaux dispersés çà et là. Une masse noire au loin attira son attention. Il déduit que c’est là que devait se trouver le roi adverse, couvert par ses sbires.
Il n’en était pas à son premier combat. Sa confiance en son chef d’armée n’avait d’égal que sa loyauté. Il savait que la victoire les attendait, même si certains hommes seraient sacrifiés pour y accéder.
Pour la gloire de la communauté, le roi adverse devait être mis en échec, qu’importent les sacrifices que cela impliquait.
Il avait bien conscience que lui-même pourrait être abandonné à son sort, offert à l’ennemi, en diversion, comme un vulgaire morceau de viande faisandé que l’on jetterait à des chiens de garde voraces pour détourner leur attention. Malgré tout, il attendait les ordres, patiemment, ne quittant jamais son poste, prêtant une oreille attentive aux ordres qui fusaient de part et d’autre, priant silencieusement pour qu’on ne fasse pas appel à lui. Ce jour-là, le chef d’armée avait été clément envers lui : seuls quelques brefs déplacements lui avaient été ordonnés. Prenant sa mission très à cœur, il suivait les ordres à la lettre. Ne faisant qu’un pas à la fois, prenant soin de ne pas se tromper de direction. « Surtout, marcher bien droit », se répétait-il inlassablement, comme un mantra qui dirigeait sa vie. C’était son rôle : marcher droit.
Bien que sa dévotion fût des plus inflexibles, une nanoseconde de doute traversa son esprit lorsque son chef d’armée lui ordonna d’avancer et de se placer juste à côté de l’un de ses adversaires. L’infime hésitation qu’il ressentit fut perçue par son ennemi qui menait vraisemblablement l’un de ses premiers combats.
— Toi aussi tu ne sais pas trop ce qu’on fait là ?
— Bien sûr que si, je le sais ! Je fais mon devoir, je protège le roi !
— Tu te berces d’illusions mon pauvre ami ! Tu sers d’amuse-bouche à tes adversaires, comme moi…
— Bien au contraire ! Regarde le cavalier là-bas, à quelques pas de la tour blanche, si ton chef est malin, au prochain coup, il sera pris ! Alors que moi, ici, je protège le roi !
— Tu fabules ! Sans arme aucune, même un fou pourrait t’atteindre !
— Et toi alors, si tu penses que nous n’avons aucune utilité, pourquoi es-tu ici ?
— Je protège la dame !
— Tu n’es pourtant pas mieux armé que moi…
— Bien sûr que non… Tout comme toi, je ne suis qu’un pion…
Chacun considérant le point de vue de l’autre et dans un regard presque amical, ils se tournèrent et virent qu’effectivement, le cavalier fut pris par la tour.
« échec et mat » entendirent-ils retentir au loin. La partie était finie.